Dans cette rubrique, nous vous proposons des
textes qui nous ont frappés, que nous avons envie de mettre en
circulation parce qu’ils portent quelque chose qui nous semble important.
Cette rubrique reste
ouverte, vous pouvez nous envoyer vos propositions.
Un texte de Victor Hugo
écrit peu après les évémenents de la Commune (le 25
juin 1871):
A QUI LA FAUTE ?
Tu viens
d'incendier la Bibliothèque ?
- Oui.
J'ai mis
le feu là.
- Mais
c'est un crime inouï !
Crime
commis par toi contre toi-même, infâme !
Mais tu
viens de tuer le rayon de ton âme !
C'est ton
propre flambeau que tu viens de souffler !
Ce que ta
rage impie et folle ose brûler,
C'est ton
bien, ton trésor, ta dot, ton héritage
Le livre,
hostile au maître, est à ton avantage.
Le livre a
toujours pris fait et cause pour toi.
Une
bibliothèque est un acte de foi
Des
générations ténébreuses encore
Qui
rendent dans la nuit témoignage à l'aurore.
Quoi! dans
ce vénérable amas des vérités,
Dans ces
chefs-d'oeuvre pleins de foudre et de clartés,
Dans ce
tombeau des temps devenu répertoire,
Dans les
siècles, dans l'homme antique, dans l'histoire,
Dans le
passé, leçon qu'épelle l'avenir,
Dans ce
qui commença pour ne jamais finir,
Dans les
poètes! quoi, dans ce gouffre des bibles,
Dans le
divin monceau des Eschyles terribles,
Des
Homères, des jobs, debout sur l'horizon,
Dans
Molière, Voltaire et Kant, dans la raison,
Tu jettes,
misérable, une torche enflammée !
De tout
l'esprit humain tu fais de la fumée !
As-tu donc
oublié que ton libérateur,
C'est le
livre ? Le livre est là sur la hauteur;
Il luit;
parce qu'il brille et qu'il les illumine,
Il
détruit l'échafaud, la guerre, la famine
Il parle,
plus d'esclave et plus de paria.
Ouvre un
livre. Platon, Milton, Beccaria.
Lis ces
prophètes, Dante, ou Shakespeare, ou Corneille
L'âme
immense qu'ils ont en eux, en toi s'éveille ;
Ébloui,
tu te sens le même homme qu'eux tous ;
Tu deviens
en lisant grave, pensif et doux ;
Tu sens
dans ton esprit tous ces grands hommes croître,
Ils
t'enseignent ainsi que l'aube éclaire un cloître
À
mesure qu'il plonge en ton coeur plus avant,
Leur chaud
rayon t'apaise et te fait plus vivant ;
Ton
âme interrogée est prête à leur répondre ;
Tu te
reconnais bon, puis meilleur; tu sens fondre,
Comme la
neige au feu, ton orgueil, tes fureurs,
Le mal,
les préjugés, les rois, les empereurs !
Car la
science en l'homme arrive la première.
Puis vient
la liberté. Toute cette lumière,
C'est
à toi comprends donc, et c'est toi qui l'éteins !
Les buts
rêvés par toi sont par le livre atteints.
Le livre
en ta pensée entre, il défait en elle
Les liens
que l'erreur à la vérité mêle,
Car toute
conscience est un noeud gordien.
Il est ton
médecin, ton guide, ton gardien.
Ta haine,
il la guérit ; ta démence, il te l'ôte.
Voilà
ce que tu perds, hélas, et par ta faute !
Le livre
est ta richesse à toi ! c'est le savoir,
Le droit,
la vérité, la vertu, le devoir,
Le
progrès, la raison dissipant tout délire.
Et tu
détruis cela, toi !
- Je ne
sais pas lire.